L'état de la démocratie en France
17 Novembre 2017 (1314 mots)
Résumé : La France est bien une démocratie, mais c’est une démocratie largement imparfaite.
Tous les ans, l’institut “The Economist Intelligence Unit” produit un rapport sur l’état de la démocratie dans 165 pays de part le monde.
Cette étude examine la qualité des démocraties sur la base de 5 familles de critères, synthétisant 60 questions : ouverture du système politique ouvert, efficacité du gouvernement, participation politique, culture politique et libertés publiques.
Le France dispose-t-elle d’un système politique ouvert et multiparti ?
Les questions posées ici sont, en synthèse :
- Les élections sont-elles libres et régulières, certaines opinions ou certains partis sont-ils empêchés de se présenter, au niveau national comme au niveau local ?
- Le suffrage universel est-il en vigueur ?
- Les campagnes sont-elles encadrées pour permettre à chacun de s’exprimer de manière égale ?
- Le transfert du pouvoir se déroule-t-il de manière apaisée ? L’alternance existe-t-elle dans les faits ?
Pour cette famille de questions, la France est bien placée, et se voit dotée pour l’année 2016 du score de 9.58 / 10. La structure de la démocratie formelle est indéniablement bien là.
A noter que d’autres pays, tels que la Norvège, la Suède, la Nouvelle-Zélande ou le Luxembourg, obtienne la note maximale de 10 pour ces critères.
Le gouvernement fonctionne-t-il bien ?
Ici les questions ne concernent plus l’accès aux positions électorales, mais la mise en oeuvre des politiques :
- Les politiques publiques sont-elles décidées par les élus ? Des puissances étrangères contrôlent ou influencent-elle ces politiques ?
- Y’a-t-il un système de contrepouvoir permettant de contrôler le gouvernement ? Le gouvernement doit-il rendre des comptes entre les élections ?
- L’exercice du pouvoir est-il ouvert et transparent, avec la mise à disposition d’informations permettant le contrôle ?
- Le gouvernement est-il indépendant de l’influence des militaires ?
- Des institutions parallèles, religieuses ou économiques exercent-elles un pouvoir politique significatif, indépendamment des structures politiques ?
- Quelle est l’importance de la corruption ?
- Quelle est la confiance de la population dans son gouvernement et ses institutions ?
On s’en doutait : la France pêche ici avec 7.14 / 10.
Même si le rapport ne donne pas de détail par pays, on voit facilement que les contrepouvoirs sont trop peu efficace, le mode de gouvernement peu ouvert, l’influence de certains lobbies insuffisamment encadrées.
Rappelons que selon l’ONG Transparency International, la France n’est qu’au 26ème rang mondial en termes d’efficacité face à la corruption, à égalité avec l’Estonie et le Qatar, et bien loin derrière le Danemark ou même l’Allemagne.
Quant à la question de la confiance des gouvernés dans leurs institutions, elle est catastrophique : d’après le CEVIPOF (janvier 2017), seul 28% des Français ont confiance dans le gouvernement…
Le niveau de participation politique
Ici il s’agit de regarder le niveau d’implication des citoyens dans la vie politique de leur pays :
- Quel est le niveau de participation aux élections ?
- Les minorités ont-elles la possibilité de s’exprimer dans le cadre du processus électoral ?
- Les citoyens sont-ils engagés dans des parties ou des ONG ?
- Les citoyens s’intéressent-ils à la politique ? Les autorités mettent-elles en place des moyens pour favoriser la participation à la vie politique ?
Ici aussi le score est faible en 2016 : 7.78 / 10.
Deux facteurs me semblent évidents : le faible taux de participation, avec une forte tendance à baisser ces 30 dernières années, et le faible niveau d’engagement politique des citoyens.
Et pourtant il me semble que les Français s’intéressent justement à la politique. Il me semble donc que ce qu’on observe dans cette famille trouve justement sa source dans les éléments matérialisés dans la 2ème famille : une faible confiance dans le système politique.
La culture politique démocratique
Ici, il s’agit de s’interroger sur le fait que pays dispose ou pas du système de valeurs favorable au fonctionnement démocratique ?
- Le consensus social permet-il une démocratie fonctionnelle (notamment en termes d’alternance) ?
- La population adhère-t-elle à l’image d’un “homme fort” qui serait légitime à contourner les règles de la démocratie ? Préférait-elle un gouvernement par l’armée ? ou par des experts / technocrates ?
- La population soutient-elle le principe démocratique ? Pense-t-elle que la démocratie est à même de maintenir l’ordre ?
- Y’a-t-il une séparation de l’Eglise et de l’Etat ?
C’est ici que le score est le plus catastrophique : 6.25 / 10.
Là encore, il me semble que ces résultats s’explique le doute vis-à-vis du système démocratique, le renforcement du populisme favorable à l’idée de l’homme ou de la femme providentielle ou encore l’application prolongée de l’état d’urgence en France.
Les libertés publiques
On étudie ici notamment :
- Existe-t-il une presse libre ? Des médias libres existent-ils sur Internet ? La presse joue-t-elle son rôle dans la couverture des événements ?
- La liberté d’expression et de manifester sont-elles respectées ?
- Les pétitions peuvent-elles être utilisées pour remonter des préoccupations ?
- Le système judiciaire est-il indépendant du pouvoir ?
- La tolérance religieuse et la liberté de relions sont-elles appliquées ?
- Les citoyens sont-ils égaux devant la loi ? Y-a-t’il des discriminations sur la base de l’ethnie ou les croyances religieuses ?
- Le gouvernement invoque-t-il des risques comme justifier une limitation des libertés publiques ?
Ici le score de la France est plus favorable, bien que perfectible : 8.82 / 10. Globalement les libertés publiques sont respectées en France : la liberté d’expression est garantie, nous savons user de notre pouvoir de manifestation, devant la loi l’ensemble des citoyens sont globalement égaux.
On connait cependant les limites : l’absence d’indépendance des procureurs, certaines critiques de la concentration des acteurs contrôlant les médias, les discriminations réelles non pas dans la loi mais dans les faits, une montée de l’intolérance religieuse, et la limitation continue des libertés publiques au nom de la lutte contre le terrorisme.
Conclusion
A la lumière de cet éclairage, je voudrais rappeler quelques éléments importants:
Oui, la France est une démocratie. Il faut ne pas lever le nez de son clavier et ne pas regarder comment fonctionne le monde pour ne pas comprendre que la France dispose d’un système électoral qui fonctionne, où les fraudes sont rares, où il est possible à chacun de s’exprimer, de monter un partie politique, où aucune partie de la population s’est discriminée dans la loi.
La France dispose globalement des structures politiques lui permettant d’être une démocratie aboutie, mais c’est la pratique politique du pays qui est défaillante. La démocratie est un ensemble de règles et de lois, mais est incarnée par lesactions des hommes et des femmes politiques, des citoyens ou des institutions.
Le diagnostic optimiste consiste donc à dire que puisque la base est là, il est possible de corriger les défaillances de la démocratie à la française. **Il “suffit” d’ajuster ce qui ne fonctionne pas **: transparence et contrôle, indépendance des élus, lutte contre les conflits d’intérêt, séparation des pouvoirs plus aboutie, lutte contre la corruption, …
La version pessimiste est que ce même si nous avons la chance de vivre dans une démocratie,les changements à apporter sont justement ceux qui sont les plus difficiles à réaliser.
Tout d’abord, il existe une certaine culture de l’ivresse du pouvoir, à tous les échelons (sans aller chercher très loin, ils suffit de voir le comportement de certains “petits maires”). Ceci conduit bien souvent à l’oubli de l’intérêt général. A titre d’illustration, est-il imaginable en France que le premier ministre aille au travail en tram ou en vélo ? Non, ce serait une “atteinte à la fonction” … No comment.
Mais aussi, la France souffre d’un mal : une culture nationale pessimiste et “noire”. La situation économique compliquée d’une partie de nos compatriotes, mais aussi une incapacité des citoyens à voir en quoi le pays est privilégié, ainsi qu’une peur de l’avenir, constituent des blocages empêchant la restauration d’une confiance indispensable au fonctionnement effectif de la démocratie.